27.11.15

Vie sentimentale et œuvres culturelles en 2015


Les fêtes de Noël se rapprochent et avec elles, la course aux cadeaux à offrir aux êtres chers, rappelant implacablement à certains d'entre nous leur condition de célibataires.
Enfin, ça c'est ce qu'on a réussi à nous enfoncer dans le crâne à grands coups d'œuvres culturelles où l'accomplissement ultime réside en la capacité à trouver l'amour plus ou moins rapidement.
En est-il toujours de même en 2015 ou bien les créatifs désirant aborder des thématiques contemporaines se sont affranchis de ces chaînes ? On va voir ça tout de suite avec une sélection d'œuvres sorties en 2015 que j'ai eu la possibilité de goûter.

Musique : Feu de Nekfeu ou les amours hédonistes

 Écouter Feu sur Spotify

Oui, vous avez bien lu. Dans cette thématique sur le traitement de l'amour, je vous case un des petits chouchous du rap français et il y est tout à fait à sa place.
Après avoir traîné son mic' avec le S-Crew et 1995 et contribué à donner une touche hipster au rap français, Nekfeu a pris son envol solo cette année avec un album intitulé sobrement Feu. Il ne sera nullement question ici de sa qualité (je vous invite plutôt à jeter un œil du côté de Fudge Blaster), mais plutôt de sa propension à balancer des références à sa vie amoureuse erratique. Qu'il s'agisse d'ÉgérieRisibles amours, Elle en avait envie ou Mon âme, Nekfeu raconte comment sa quête d'amour tourne en rond, tantôt guidé par sa virilité débordante (comme la plupart des rappeurs), tantôt happé par la fragilité d'une demoiselle. "Classic shit" pourrait-on se dire mais justement, en 2015 et à 25 ans, nous aurions peut-être pu espérer éviter de tels poncifs dans l'écriture d'un artiste consumé par les flammes de la rage... à moins que le titre de son album soit en fait un hommage aux Feux de l'amour ? Plus sérieusement, sans sombrer dans la caricature, ce classicisme est plutôt imputable à la vision passionnée de l'amour héritée de ses écrivains préférés Jack London et Guy de Maupassant.


Avec Feu, la vie amoureuse semble ne rentrer dans aucun cadre vu sa nature chaotique, mais en cela elle s'enferme dans une logique de course au plaisir et aux sensations fortes : "l'amour existe mais impossible de le garder entre ses doigts".

Conseil du Goûteur : écouter Elle en avait envie ou Égérie en se rendant à un rendez-vous Tinder.

BD : Love Addict de Korren Shadmi ou la perte des repères amoureux

 Acheter Love Addict

Ici aussi il sera question d'enchaînement de conquêtes mais en suivant un mec lambda déboussolé plutôt qu'un hédoniste forcené. Dans Love Addict : Confessions d'un tombeur en série publié chez les éditions Ici Même, le talentueux illustrateur new-yorkais Koren Shadmi nous présente le personnage de K., trentenaire sortant tout juste d'une longue relation stable. Notre "héros" se retrouve donc célibataire, sans avoir jamais vraiment su comment conquérir le cœur de ces dames. Alors qu'il s'attend à devoir vivre une longue traversée du désert au niveau sentimental, il se rend compte que le monde a évolué et que la technologie a rendu plus facile que jamais la possibilité de conclure avec le sexe opposé, même pour un monsieur-tout-le-monde un peu geek comme lui. Par le biais du site de rencontre fictif "Lovebug", K. va aller de conquêtes en conquêtes, maladroitement au début, puis tel un prédateur aux pulsions autodestructrices perturbé par ce soudain succès auprès de la gent féminine.



Même s'il semble devenir un tombeur au fil de l'histoire, on ne peut qu'éprouver du chagrin pour un K. ressemblant à un enfant passé du lance-pierre au lance-roquettes sans avoir été préparé aux conséquences d'une telle puissance de feu : "la technologie nous ouvre les portes d'un monde de sexe facile où l'amour et l'implication sentimentale importent peu".

Conseil du Goûteur : l'automne et l'hiver sont des saisons parfaites pour lire Love addict en écoutant de la Folk ou de la Pop un peu tristounes comme du Sharon Van Etten, du Broken Social Scene en alternant avec des remixes de RAC pour le côté branché new-yorkais (et parce que c'est cool, RAC).

Série TV : Master of None ou l'amour sans pression

 Regarder Master of None

Série définitivement ancrée dans le réel, même si celui-ci n'est pas celui de tout le monde (il faut être un peu hipster, de préférence new-yorkais -oui encore- et donc avoir un mode de vie assez "culturel"), Master of None nous propulse dans le quotidien de Dev Shah, un comédien un peu loser d'origine indienne incarné par Aziz Ansari (également producteur du show). La série estampillée Netflix étant une comédie plutôt légère reflétant un certain mode de vie, il n'est pas question ici de critique acerbe ou de propos graves. Les questions concernant l'engagement et la vie de couple y sont bien sûr abordées, mais d'une manière moins oppressante que dans bien des shows comiques de ce genre.
Le premier épisode sert d'ailleurs à crever directement l'abcès en dépeignant un personnage principal trentenaire et célibataire, pas réfractaire pour un sou aux coups d'un soir (je le soupçonne d'avoir Tinder sur son smartphone) mais s'interrogeant sur la perspective d'avoir une vie posée. Les pour et les contre des deux modes de vie sont également rapidement mis sur le tapis, sans prendre parti.


Dans Master of None, être épanoui amoureusement n'est pas un accomplissement absolu, c'est une constante connue et souhaitée (il y a une romance en filigrane dans l'intrigue), mais voilà, le monde va vite et il ne faudrait pas risquer de louper ses rêves en tournant la tête un instant : "l'amour existe sûrement, si c'est le cas il me tombera bien dessus un de ces quatre... en attendant c'est bientôt l'happy hour et après j'ai un vernissage !"

Conseil du Goûteur : regarder Master of None de préférence à plusieurs (entre potes de préférence), on s'y reconnaît forcément un peu et on a vite la sensation de faire partie de la bande de Dev.

Cinéma : The Lobster ou l'engagement comme couperet

 Aller voir The Lobster près de chez vous

On va terminer par l'œuvre de l'année concernant le traitement de l'engagement dans notre société.
Imaginez un monde où, passé un certain âge, se retrouver célibataire donne droit à un aller simple dans un centre visant à retrouver une moitié sous peine de se voir transformé en un animal qu'on aura choisi au préalable. Le film commence avec un Collin Pharell dans la veine de ses personnages losers à la Seven Psychopaths mais poussé à l'extrême (il a pris 21 kilos de gras pour le rôle), que sa femme vient d'abandonner pour un autre homme. Commence alors une course effrénée au sein du centre pour trouver la femme qui lui correspondra le mieux avec au moins un point en commun auquel se rattacher afin de ne pas finir en homard (le crustacé pouvant vivre centenaire c'était un argument de choix pour notre héros). L'hypocrisie, la pression sociale, la stigmatisation du célibat mais également la glorification parfois malsaine de celui-ci sont abordés avec un humour noir et grinçant dans cette critique sociale fantasmagorique du réalisateur grec Yorgos Lanthimos.


"Comment trouver sa place dans une société où l'individu ne semble exister que par le couple ? Comment échapper à ce moule sans pour autant s'enfermer dans un célibat forcené et sectaire ?"
The Lobster frappe juste avec un humour pince-sans-rire derrière son allure de film estampillé Festival de Cannes (Prix du jury de l'édition 2015) et ses particularités rebutantes pour le grand public (ambiance sonore, montage, rythme...).

Conseils du Goûteur : ne pas regarder ce film lorsqu'on a la migraine, les choix d'ambiances sonores pouvant accentuer dramatiquement celle-ci et surtout prévoir une activité joyeuse dans la foulée. Un film parfait pour l'automne et l'hiver, dans les moments où le célibat commence à peser lourd sur le quotidien.


Ndlr : Cette liste n'est bien sûr pas exhaustive. J'aurais ainsi pu parler de Crazy Amy, mais ne l'ayant pas vu et trouvant son propos faussement novateur (une fille d'aujourd'hui qui s'envoie en l'air et picole sans retenue qui finit par montrer des failles sentimentales...), j'ai préféré passer mon tour. Si vous trouvez à redire sur ces choix, je vous invite à me dire pourquoi et à partager les vôtres en commentaires (notamment si vous avez joué à un jeu vidéo traitant de cette thématique cette année).

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