10.2.16

Spécial Angoulême - David Sourdrille, rencontre avec le Robert Crumb français


Angoulême, le samedi 30 janvier 2016. C'est par une après-midi pluvieuse, ponctuée de rares moments de soleil, que je me suis attablé à la terrasse d'un bar de la Place de l'Hôtel de ville avec un auteur français trop peu connu malgré sa virtuosité au crayon. Son nom, David Sourdrille et pour votre serviteur il n'est rien de moins que le Robert Crumb français. Découvrez une interview sous le signe de la sensualité et du plaisir de braver les interdits.


Le Goûteur Culturel : Comment êtes-vous arrivé dans le monde de la bande dessinée ? Quand avez-vous su que vous vouliez devenir dessinateur ?
David Sourdrille : J'ai fait les beaux-arts de Rennes pour devenir illustrateur publicitaire. À la base je ne me destinais pas du tout à la BD, même si j'en ai toujours lu.
C'est mon projet de fin d'études qui m'y a amené en fait : j'avais réalisé un chemin de croix en mode autoportrait d'un voyeur miséreux sexuel. Je m'étais inspiré de Max Beckmann et du courant de la "Nouvelle Objectivité" dont je suis un admirateur et notamment des travaux de Bruno Schulz, un juif polonais au destin tragique...
J'ai ensuite proposé cette série d'illustrations à plusieurs éditeurs et c'est L'Écho des Savanes qui me signa à l'époque. Cette collaboration avorta et je fut publié chez Psikopat pendant 10 ans en parallèle d'un travail d'illustrateur que je faisais pour les chroniques de David Abiker dans Men's Health. Elles avaient pour but de décrire l'homme urbain un peu loser et fasciné par les femmes, comme moi.
Par la suite, j'ai travaillé pour le magazine Ferraille, pour Aaarg! (revue dans laquelle j'ai découvert l'auteur grâce à un focus sur lui) et maintenant pour Fluide Glacial.
"Tout petit, mes parents me déposaient au rayon BD d'Euromarché. J'allais directement au BD adultes et je me jetais sur celles de ReiserCorben et Liberatore..." David Sourdrille
LGC : Ok mais, à part les travaux d'artistes contemporains, quelles ont été vos autres influences ? Des bandes dessinées ou des films ont-ils marqués votre enfance ?
David Sourdrille :Haha ! Si ! Tout petit, mes parents me déposaient au rayon BD d'Euromarché. J'allais directement au BD adultes et je me jetais sur celles de Reiser (Gros dégueulasse...), Corben (Vampirella...) et Liberatore (RanXerox...). Mais je dois dire qu'Yves Chaland (Bob Fish...) fut une de mes influences majeures, pour son trait et l'efficacité de sa ligne claire tandis que Vicente Segrelles (Le Mercenaire...) me stupéfiait par son hyper-réalisme.
LGC : (Rires) Je crois que nous sommes tous passés par cette phase où une BD un peu crapuleuse nous tombait dans les mains "par accident". Vous c'était vers quel âge ?
David Sourdrille : C'est à 8 ans que j'ai délaissé Spirou pour les bandes dessinées Elvifrance comme Magella. Quand je finissais mes lectures, j'allais chez le loueur de VHS pour m'imprégner des vignettes des films gores et coquins. J'avais ma routine au goût d'interdit et grâce à mon oncle loueur de films, j'ai pu avoir accès à des œuvres qui sont devenues cultes pour moi comme Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, 1984 de Michael Radford ou La Forteresse Noire de Michael Mann. Ce n'étaient pas tous des chefs-d'œuvres mais ils étaient tous imprégnés d'une violence ou d'un surréalisme incompréhensibles pour un enfant. 
J'étais fasciné par les nanars de Jesús Franco, un réalisateur spécialisé dans les films mi-kitsch, mi-porn mais aussi par des films exceptionnels comme La Cité des femmes de Fellini avec ses femelles castratrices et La Grande Bouffe de Marco Ferreri.
LGC : Et vous n'aviez aucune gêne à le faire ? Vous n'aviez pas peur d'être pris ?
David Sourdrille : J'avais bien sûr peur de me faire pincer mais non, je n'avais aucune gêne. Par contre, maintenant que j'ai une fille, je me pose la question du montrable ou non. Lucie, ma compagne, m'oriente pour éviter les problèmes (rires) !
"Crumb est une sorte de "tonton d'Amérique" et je crois qu'on s'entend si bien parce que suis misanthrope, inquiet, amoureux des femmes fortes et dominatrices et amateur de courbes." David Sourdrille 
LGC : Parmi toutes vos références, vous n'avez pas cité Robert Crumb, pourtant j'ai souvent l'impression de voir son empreinte dans vos dessins de femmes aux fesses rebondies et cuisses musclées. Je me trompe ?
David Sourdrille : Non, Crumb est un sommet pour moi ! Je l'ai découvert dans les années 90 quand je lisais Psikopat. Puis, lorsque j'ai commencé à bosser dans Psikopat, Crumb s'est mis à surveiller mes travaux, ce que j'ignorais. Un jour, Carali (NDLR : le rédacteur en chef du magazine) publia un de mes travaux du début et Crumb, le trouvant en dessous de mes productions habituelles s'inquiéta pour ma santé mentale. Il écrivit à Carali pour savoir si j'allais bien, si une femme s'occupait bien de moi etc. Il me fit parvenir la lettre et à partir de là, je me suis mis à échanger avec Crumb par courrier postal, lui, écrivant en anglais, moi, en français (rires).
Robert Crumb est une sorte de "tonton d'Amérique" et je crois qu'on s'entend si bien parce que suis misanthrope, inquiet, amoureux des femmes fortes et dominatrices et amateur de courbes. Il a même accepté de bosser pour moi gratos quand j'ai lancé La Rouquine, mon magazine associatif.
LGC : Vous êtes donc vous aussi un "Ass-Man" ? (NDLR : là, en tant que membre du mouvement, je lui ai pitché la théorie de Kiyoshi Fujino sur la supériorité des fesses par rapport aux seins dans le manga Prison School)
David Sourdrille : (rires) Effectivement, je préfère dessiner des fesses et des cuisses musclées. Je ne suis pas obsédé par les seins volumineux.
LGC : "Les Vrais savent", comme on l'a dit un poète urbain. Mais quels sont vos futurs projets ? J'ai l'impression qu'on ne vous voit pas beaucoup sur les tables des libraires, même spécialisés.
David Sourdrille : J'ai normalement une "BD Cul" (la collection dans laquelle a été publiée Les Melons de la colère de Bastien vivès) prévue chez Les Requins Marteaux. J'ai tendance à me couper du monde et à dessiner seul dans mon coin et je dois m'obliger à me ré-encrer dans le monde pour me faire publier. Ma compagne m'aide énormément à le faire. J'ai pour mot d'ordre d'être libre avant d'être aimé et un goût de déplaire, j'assume ma provoc' et je refuse de m'édulcorer. Pour cela, plusieurs de mes projets ont été refusés car jugés "trop vulgaires", "trop misogynes" ou je ne sais quoi.
La complicité de l'auteur et de sa compagne, Lucie
LGC : Parlons-en, on vous taxe de misogynie, mais votre compagne, Lucie, a l'air d'occuper une place importante dans votre vie (NDLR : durant toute l'interview, la moitié de l'auteur n'a eu de cesse d'approfondir, d'expliciter les propos de celui-ci, la voix et le regard pleins d'amour, rapprochant leur relation de celle de Robert Crumb et de sa femme Aline Kominsky-Crumb).
David Sourdrille : Oui, c'est ma muse et elle commence même à scénariser pour moi. Je ne suis résolument pas machiste, même si j'avoue être hétéro-centré. Je ne parle par contre pas "pour les femmes", je ne suis pas un militant féministe et je n'ai aucune prétention à ce sujet. Je veux juste parler pour moi et je m'en fous si on me catalogue parce que je met souvent en scène des femmes prédatrices qui ont des psychologies de grands fauves.
LGC : OK, merci pour tous ces détails. terminons sur vos lectures actuelles et sur ma question favorite : "Alan Moore ou Frank Miller ?" 
David Sourdrille :  J'aime beaucoup lire les dessinateurs "enculeurs de mouches" multipliant les détails à la Geof Darrow (Hard Boiled et récemment Shaolin Cowboy ), je me reconnais un peu en Travis Charest (WildC.A.T.s...). Sinon, je rattrape mon retard dû aux lectures crapuleuses de mon enfance et je découvre Spirou actuellement.
Pour moi Frank Miller est supérieur à Alan Moore, son Daredevil était au sommet et je me rappellerai toujours de son traitement du personnage d'Elektra !
LGC : Merci beaucoup pour toutes ces réponses, bonne fin de festival et longue vie aux "Ass-Men" !

Précisions sur Lucie, la compagne de l'auteur :
Comme je l'ai indiqué plus haut, Lucie a pleinement participé à cette interview qui n'aurait peut-être pas été aussi riche sans ses remarques (c'est par souci de lisibilité que je ne les mentionne pas).
La culture Fluide Glacial de Madame a permis à Monsieur de la conquérir et David Sourdrille la considère comme sa muse, mais également comme sa directrice artistique et sa chargée de relation publique. Elle lui prodigue conseils et recommandations sur ses storyboards et fait partie intégrante de sa création en faisant office de modèle photo pour ses illustrations.
Pour l'auteur, elle fait office de carotte et de bâton et porte la culotte, pour elle, ils sont plutôt complémentaires dans leur relation (qui frôlait la symbiose d'après mon regard extérieur).


Mais qui est David Sourdrille ?

Bio
  • Date de naissance : les 70's
  • Nationalité : Française
Recette créative
  • ingrédients favoris : les femmes aux fesses rebondies et cuisses musclées, une sensualité débridée et parfois malsaine
Les œuvres de David Sourdrille ne sont clairement pas à mettre entre toutes les mains. Ses dessins de femmes aux formes voluptueuses et aux forts caractères lui donnent des airs de "Robert Crumb à la française".

Les œuvres cultes de David Sourdrille

BD
  • Les œuvres de Robert Crumb
  • Les œuvres de Liberatore et des dessinateurs trash des 80's
  • Le Daredevil de Frank Miller
Musique (l'auteur avoue dessiner lentement et avoir besoin de "s'hypnotiser", de "s'abrutir" sur ses planches)
  • Aphex Twin et la musique électronique
  • La bande son de la série Colombo (oui, oui, vous avez bien lu)
  • Les symphonies de Bach
Cinéma et séries TV
  • La Cité des femmes de Federico Fellini
  • La Grande Bouffe de Marco Ferreri
  • Les films de Luis Buñuel