25.4.16

Roberto Ricci et Laura Iorio : l'intégrale de l'interview

Hey oui, l'édition 2016 du FIBD d'Angoulême fut tellement riche en rencontres que, près de trois mois après, je continue à publier des compte-rendus d'interviews d'auteurs. Aujourd'hui je vous propose de découvrir Roberto Ricci et Laura Iorio, un fabuleux couple d'artistes italiens dont Le Cœur de l'ombre, leur dernière œuvre commune, est sur le point d'être publiée aux éditions Dargaud.
La première partie sera concentrée sur le parcours de Roberto Ricci et à Urban, la série sur laquelle il travaille avec le scénariste prolifique Luc Brunschwig (Bob Morane - Renaissance, Léviathan, Le Pouvoir des innocents...), tandis que la seconde sera dédiée au Cœur de l'ombre.
Le Goûteur Culturel : Bonjour Roberto, pouvez-vous vous présenter, s'il vous plait ?Qu'est-ce qui vous a amené à faire de la bande dessinée ?
Roberto Ricci : À la base je devais être guitariste, j'étais même plutôt bon et jusqu'à mes 20 ans, j'avais pour objectif de devenir musicien professionnel. Et puis j'ai eu un problème au tendon qui m'a ramené vers ma deuxième passion, la bande dessinée. D'ailleurs, ma passion pour la BD est née vers mes 11-12 ans, quand j'ai découvert Moebius et le Ronin de Frank Miller. Ces deux auteurs m'ont fait comprendre que la bande dessinée était au-delà de Mickey : Quand j'étais enfant, je n'avais pas vraiment accès aux autres types de BD et c'est un problème qu'ont eu pas mal d'Italiens de ma génération. Ah et sinon, j'ai également essayé d'autres boulots mais je m'ennuyais à chaque fois (rires). 
LGC : Ça veut dire que dans une autre réalité, il y a peut-être un Roberto Ricci rockstar (rires). Et du coup, vous avez suivi une formation ? quelles ont été vos premières expériences en tant que dessinateur ?
Roberto Ricci : J'ai fait un an d'école de BD mais je trouvais ça trop cher. J'ai donc essayé de m'améliorer en autodidacte en me basant sur les travaux d'auteurs comme Bernie Wrightson et ses illustrations magnifiques sur la Créature de Frankenstein. J'ai vraiment essayé de me rapprocher de son style tandis que je m'entraînais à la colorisation en Italie en bossant sur des albums jeunesse. 
Mon premier gros contrat fut pour Heavy Metal USA à la fin des années 90. J'utilisais un style graphique différent à chacune de mes histoires, c'était comme un labo d'expérimentation qui m'a permis de constituer une sorte de portfolio. Au début des années 2000, un ami m'a averti qu'un scénariste cherchait un dessinateur en France.

LGC : Ce scénariste, c'était Philippe Saimbert pour Les Âmes d'Helios, j'imagine. Comment s'est passée votre collaboration ?
Roberto Ricci : Oui, c'était bien lui. La bande dessinée est née d'échanges compliqués en italien et en français et j'ai acheté un ordinateur exprès pour pouvoir communiquer avec lui (rires). Nous avons ensuite envoyé notre projet à un paquet d'éditeurs et ce sont Delcourt et Dargaud qui se sont les premiers montrés intéressés. Nous avons signé avec Delcourt et j'ai décidé d'embarquer pour Paris et d'apprendre le français. Les projets se sont ensuite enchaînés tandis que j'enseignais en parallèle dans l'école de BD dans laquelle j'avais fait mon année d'essai : j'étais du coup un jeune prof de 23 ans au milieu d'élèves souvent plus vieux que moi (rires).
LGC : Et ça n'a pas été trop difficile niveau rythme de vie et de travail ?
Roberto Ricci : J'ai travaillé dur sur Les Âmes d'Helios pour boucler les 4 tomes en 5 ans. Je suis devenu storyboarder pour d'autres artistes par la suite sur des titres comme Breakpoint de Philippe Saimbert et d'Andrea Mutti chez Albin Michel. C'était super rare pour l'époque, surtout pour Albin Michel qui ne savait pas trop comment contractualiser la tâche de storyboarding. 
LGC : Vous ne travaillez que sur des projets français ? Vous n'êtes pas tenté pas des travaux 100% italiens ? 
Roberto Ricci : J'ai bien sûr fait des essais de travaux en Italie, notamment des couvertures pour le magazine gore Splatter, mais je travaille essentiellement pour la France... Même si mon studio de travail parisien a été longtemps 100% italien (rires). En ce moment par exemple, je travaille sur Le Cœur de l'ombre, un nouveau projet chez Dargaud avec ma compagne (NDLR Laura Iorio qui accompagnait Roberto pour l'interview et qui vaquait tranquillement à ses occupations, l'air de rien alors qu'elle préparait un tel projet).
LGC : Oh !? Puis-je vous poser quelques questions à ce sujet après l'interview ? Madame Iorio, accepteriez-vous de vous joindre à nous pour me présenter le projet ?
Laura Iorio : Bien sûr, j'en serai ravie ! 

LGC :  À propos de collaborations, vous travaillez avec Luc Brunschwig  depuis 5 ans sur la série Urban dont je suis un énorme fan. Pouvez-vous m'en dire plus sur votre duo de choc s'il vous plaît ?
Roberto Ricci : On s'est rencontrés en 2008, au moment où on essayait de faire éditer Le Cœur de l'ombre avec LauraLuc était alors éditeur chez Futuropolis. Il refusa le projet mais nous restâmes en contact (rires). J'ai ensuite commencé à bosser avec Marco D'Amico sur Moksha, une BD chez Robert Laffont mais l'éditeur stoppa sa collection en 2009 et la série s'arrêta au tome 1. J'ai recontacté Luc pour lui proposer de faire un one shot pour lui, c'est là qu'il m'embarqua dans l'aventure Urban en me la présentant comme un projet en 6 tomes.
LGC : Je crois que Luc Brunschwig avait déjà tenté de narrer l'histoire d'Urban sous le nom d'Urban Games avec Jean-Christophe Raufflet en 1999. Ça n'a pas été trop compliqué de reprendre le projet des années après ?
Roberto Ricci : Oui, l'histoire avait été publiée sous une forme incomplète chez Les Humanoïdes Associés et il y avait eu un problème avec le dessinateur d'origine. Au début j'étais tenté de refuser de reprendre le projet car j'en avais marre de bosser sur de la SF, je souhaitais réellement dessiner des tranches de vie à cette époque. Luc m'envoya quand-même le scénario et ce fut le coup de foudre de mon côté. Futuropolis racheta donc les droits de la série aux Humanos, je fis un essai pour le personnage de Zach (le personnage principal) et ce fut au tour de Luc d'avoir le coup de foudre (rires).  
LGC : Ah l'amour ! J'imagine que cette "symbiose" de vos visions artistiques influent positivement sur votre méthode de travail.
Roberto Ricci : Nous travaillons essentiellement par mail et par Skype. C'est parfois long car les descriptions que Luc m'envoie sont assez denses. Je storyboarde ensuite et nous échangeons énormément jusqu'à ce que l'alchimie opère.
LGC : On en est au tome 3 d'Urban, la série est toujours prévue en 6 tomes ? Quand prévoyez-vous la sortie du tome 4 ?
Roberto Ricci : L'histoire a été réduite à 5 tomes pour éviter de trop décompresser. C'est plus dur pour moi car le storyboard doit être beaucoup plus percutant et nerveux. Je crois que c'est mon travail le plus dur à ce jour. Le tome 4 est prévu pour septembre 2016 (NDLR : depuis cette interview, la date de publication a été repoussée en 2017).
LGC : Et pour la suite, je trouve qu'Urban se prête à une adaptation en série TV ou en films. Il y a quelque chose dans les tuyaux ?
Roberto Ricci :  Un projet de série TV a été optionné par un réalisateur français donc wait and see !
 Découvrir toutes les étapes de créations d'une couverture
LGC : Avant de passer aux questions sur Le Cœur de l'ombre, puis-je connaître vos principales influences en BD mais aussi pour les autres médias ? Vous avez un rapport particulier avec la musique d'après ce que vous m'avez dit.
Roberto Ricci : Niveau BD, j'ai été marqué par Ronin de Frank Miller, Arzak de Moebius et Swampthing de Bernie Wrightson.
 Pour la musique, j'avais fondé un groupe de metal avec mes potes quand j'avais 13 ans. On s'appelait les Nunkrusha (NDLR : broyeurs de nonnes) et on faisait du gros "grind" (NDLR : le grindcore, un style de metal à base de cris gutturaux et d'enchaînements rapides à la guitare et à la batterie... définitivement pas pour les fragiles). En grandissant, je me suis ouvert au jazz et à d'autres styles de musiques. Quand j'avais 18 ans, je devais aller au Brésil avec mon prof de musique pour ouvrir un studio et puis il y a eu cette fameuse blessure au tendon... Si je devais dresser un top 3 musical, ce serait Frank Zappa période Roxy, King Crimson et Alan Howarth.
Enfin, je suis un gros fan de Blade Runner et d'Alien de Ridley Scott mais aussi de The Meaning of life des Monty Python.
LGC : Ok, c'est le moment de la fameuse question "Frank Miller ou Alan Moore" ? 
Roberto Ricci : Ah ! Je préfère Miller à Moore mais j'ai peur de sa droitisation... Le travail de recherche de Moore est énorme mais je suis définitivement fan de Miller.
Ayant assez d'informations sur Roberto Ricci et sur Urban, je proposais à Laura Iorio de m'en dire plus sur Le Cœur de l'ombre. Voici sa présentation de ce projet décidément très intrigant !
Laura Iorio et Roberto Ricci, toujours souriants
LGC : Alors, que pouvez-vous me dire sur Le Cœur de l'ombreLaura ? Est-ce votre premier travail de couple avec Roberto ?
Laura Iorio : Non, nous avons déjà travaillé ensemble chez BDMusic sur l'ouvrage  June Christy scénarisé par Giancarlo Dimaggio. Je m'occupe des illustrations et du scénario avec Marco Cosimo D'Amico, tandis que Roberto se charge du storyboarding et de la couleur avec moi. Je travaille dans l'illustration à la base, mais comme c'est un secteur compliqué, je me suis également tournée vers la BD. Depuis 2015, j'ai recommencé à travailler dans l'illustration et je prépare un premier album illustré sur un conte écrit par mon amie et collègue Daniela Volpari
Le Cœur de l'ombre, c'est l'histoire de Luc, un petit garçon français de 10 ans avec des origines italiennes. Il a la particularité d'avoir peur de tout à cause d'une mère protectrice. Chaque nuit il reçoit en fait la visite de L'Uomo Nero / L'Homme Noir, un croque-mitaine de célèbres comptines italiennes utilisé par les parents pour forcer les enfants à être sages.

Laura Iorio : Une nuit, Luc arrive à toucher L'Uomo Nero, ce qui inquiète celui-ci. Du coup, il emmène le petit garçon au Royaume des ombres, le monde de tous les Boogie Men (NDLR : croque-mitaines), très inspiré par l'esthétique de Tim Burton. Ce sera le début d'un road trip aux airs de quête initiatique dans le monde entier entre toutes les dimensions pour en savoir plus sur le phénomène du fameux contact physique. 

Illustration préparatoire et recherche pour L'Uomo Nero
LGC : Ça a l'air vraiment excellent ! Je suis friand de BD jeunesse et votre patte graphique fait bien ressortir la thématique fantasmagorique du récit. On ressent une influence "Burtonesque" mais pas que. Quelles sont vos autres sources d'inspiration ?
Laura Iorio : Pour l'illustration, mes références sont Rebecca Dautremer et notamment son Babayaga, les courants de peinture comme les Préraphaélites (mouvement de peinture anglaise du 19e siècle) et le Golden Age Américain (1880-1920) dont Norman Rockwell était un des plus célèbres représentants. Enfin,comme Roberto, je suis une grande fan de Bernie Wrightson et de son Frankenstein.
Niveau BD, je suis très manga et j'adore La Rose de Versailles / Lady Oscar de Riyoko IkedaVideo Girl Aï de Masakazu Katsura et Maison Ikkoku de Rumiko Takahashi, J'ai d'ailleurs voté pour cette dernière pour le Grand Prix d'Angoulême. J'ai aussi quelques coups de cœur comics et BD dont le Elektra Assassin de Bill Sienkiewicz et l'œuvre entière du dessinateur italien Gipi (Notes pour une histoire de guerre).
Pour les films, je suis bien entendu fan de Tim Burton mais aussi de Thrillers et d'adaptations de romans. Si je devais dresser une liste, ce serait Sunset Blvd. de Billy WilderArsenic and Old Lace de Frank Capra et Back To The Future de Robert Zemeckis.
Pour la musique, j'écoute pas mal de jazz et de grandes voix féminines comme Aretha Franklin ou Ella Fitzgerald et je suis une grande fan de David Bowie.
 Découvrez les magnifiques peintures de Laura Iorio
Laura Iorio est une virtuose de la gouache sur papier
LGC : Je vous remercie pour toutes ces réponses, je surveillerai Le Cœur de l'ombre avec attention. Bonne continuation à tous les deux et à bientôt !
Laura et Roberto : À bientôt !
 Cette rencontre avec le couple Ricci - Iorio constitua un de mes meilleurs moments du FIBD d'Angoulême et je ne peux que vous encourager à jeter un œil à leurs différents projets : Urban, le thriller d'anticipation virtuose que Roberto Ricci mène de mains de maîtres avec le sémillant Luc Brunschwig et Le Cœur de l'ombre, le livre jeunesse aux accents Burtoniens réalisé par le couple prévu pour le 29 avril prochain.
Urban, Tome 1 : Les règles du jeu Découvrir Le coeur de l'ombre, Tome 1 : Voici venir l'uomo nero
Sources images : Le blog de Roberto Ricci et le blog de Laura Iorio 

Mais qui sont Roberto Ricci et Laura Iorio ?

Bio
  • Date de naissance : Les 70's et les 80's
  • Nationalités : Italiens tous les deux
Recette créative
  • ingrédients favoris : approche dynamique du découpage pour Roberto, illustrations à la peinture et couleurs chaudes pour Laura.
Roberto et Laura forment un couple d'artistes bourré de talent qui multiplie les projets en commun et en solo. Leurs influences éclectiques vont des comics aux peintres du courant Préraphaélite du 19e siècle.

Les œuvres cultes de Roberto et Laura

Roberto Ricci
  • BD : Ronin de Frank Miller, Arzak de Moebius, Swampthing de Bernie Wrightson
  • Films : Blade Runner et Alien de Ridley Scott, The Meaning of life des Monty Python
  • Musique : Frank Zappa, King Crimson, Alan Howarth
Laura  Iorio
  • Illustration : Babayaga de Rebecca Dautremer, le courant de peinture Préraphaélite, Frankenstein de Bernie Wrightson
  • BD : La Rose de Versailles / Lady Oscar de Riyoko Ikeda, Video Girl Aï de Masakazu KatsuraMaison Ikkoku de Rumiko Takahashi 
  • Films : Sunset Blvd. de Billy Wilder, Arsenic and Old Lace de Frank Capra, Back To The Future de Robert Zemeckis.
  • Musique : Aretha Franklin, Ella Fitzgerald, David Bowie